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Infolettre Février 2025

«Tracking» et Anticipation 

Suivre la rondelle avec ses yeux sera toujours l’une des habiletés les plus importantes pour les gardiens. Plus que tout, cette capacité permet de se sentir en contrôle. Ne pas bien voir la rondelle et avoir une mauvaise mécanique d’arrêt affectera votre quête à atteindre les hauts niveaux. Les entraîneurs des gardiens parlent souvent du contrôle de la boîte «Box Control» – soit le fait d’arrêter la rondelle plus en avant de soi. Cette coordination de mouvement permet de couper l’angle du tir et d’empêcher la rondelle d’atteindre le haut du filet. Plus ton «Box Control» est efficace, meilleures sont tes chances de faire l’arrêt.

Un bon exemple d’un gardien avec un excellent «Box Control» dans la LNH est Juuse Saros, soit le seul gardien de moins de six pieds à évoluer lors de la saison 2024-2025. La mobilité articulaire de Saros (particulièrement au niveau des hanches et des chevilles) lui permet d’adopter une position large lorsque le joueur s’approche de lui, ce qui facilite sa capacité à projeter ses gants plus en avant, bloquant ainsi mieux l’angle du tir. Plus que le simple suivi de la rondelle, la mobilité articulaire influence directement la réaction au tir. Cette réaction à la rondelle est toutefois plus complexe qu’on pourrait le croire. Les gardiens de la LNH donnent l’impression de réagir aux tirs avec une facilité déconcertante. Mais lorsqu’on creuse pour comprendre ce qui leur permet d’être aussi naturels, on réalise à quel point ils sont des athlètes extraordinaires.

 

L’anticipation : une extension du «Tracking»

L’anticipation est aussi une composante du «Tracking». On peut même la voir comme une sous-compétence de celle-ci. Pour un gardien de but, l’anticipation est souvent associée au sens du hockey ou «Hockey Sense». Dans l’article de The Athletic, elle est présentée comme « la capacité à effectuer le premier mouvement (voir l’image de Logan Thompson exécutant une descente en position "one-pad down" lors d’une échappée).

Mais l’anticipation est une arme à double tranchant. On peut être un héros en lisant parfaitement la situation… ou un zéro en bougeant trop tôt et que la rondelle traverse la ligne des buts. Dans ce dernier cas, on appelle ça tricher; et les gardiens trichent souvent. Ça fait partie du jeu. Tricher, c’est quand on s’engage dans une anticipation, mais que nous sommes incapables de retrouver une bonne position par la suite, ce qui rend vulnérable aux mauvais buts. L’anticipation s’améliore en jouant contre un niveau de compétition exigeant. À un niveau plus bas, il est possible que la progression ne se fasse pas aussi rapidement, simplement par le manque de confrontations à des situations complexes. Pour développer cette habileté, il faut un niveau de défi bien dosé – ni trop facile, ni trop difficile. Ce défi provient des joueurs suffisamment habiles pour tester efficacement les réactions.

 

Rendre l’imprévisible prévisible

Une bonne anticipation repose sur une lecture efficace du jeu, permettant de transformer l’imprévisible en quelque chose de prévisible. Ce qui rend l’anticipation unique, c’est qu’elle doit rester inconsciente en pleine action. Être trop conscient de l’anticipation ferait dépendre sur le hasard plutôt que sur les habiletés. Ce n’est que lorsqu’on a confiance en notre entraînement que notre esprit inconscient peut guider la lecture du jeu.

Après tout, il est question de reconnaissance du jeu. Voir un grand nombre de feintes et de manœuvres trompeuses de la part des joueurs permet de mieux capter ce qu’ils vont faire, et ce, avant même qu’ils ne le sachent eux-mêmes. Pour s’améliorer là-dessus, il suffit de s’exposer à un niveau de jeu élevé et laisser l’entraînement prendre le dessus.


Critique de The MVP Machine - Un best-seller du New York Times 

Merci au podcast de Cal Newport, pour la recommandation de ce livre. Au-delà d’être un ouvrage pour les mordus de baseball, il offre une perspective intéressante sur l’avenir du sport avec l’avancement technologique. Je n’avais jamais réalisé à quel point les données pouvaient être exploitées pour améliorer la performance des athlètes. J’ai du mal à imaginer où en sera le développement sportif dans dix ans. Les entraîneurs et même les athlètes de différentes disciplines peuvent tirer profit de ce livre. Je ne serais pas surpris que ce livre suscite un plus grand intérêt pour l’analyse statistique dans le sport de haut niveau.


L’ère de la révolution du développement des joueurs

The MVP Machine aborde le changement de mentalité des organisations dans l’après-Moneyball, menant à une révolution dans le développement des joueurs. Les équipes de la MLB priorisent désormais le développement des talents à l’interne plutôt que l’acquisition de vétérans. Si le film Moneyball avec Brad Pitt vous est familier, vous connaissez donc l’histoire des A’s d’Oakland qui ont bâti leur équipe de 2002 avec le plus petit budget de la MLB. Bien qu’ils n’aient pas remporté la série mondiale cette année-là, ils ont démontré que l’utilisation de statistiques avancées pouvait offrir un avantage compétitif.

Cependant, dans l’ère actuelle du baseball, plutôt que de recruter des joueurs avec des statistiques prometteuses, on les façonne directement au sein du système, ce qui a permis des percées majeures pour plusieurs joueurs. Cette révolution prolonge même la carrière de certains athlètes en remettant en question leurs méthodes de travail. Les auteurs Ben Lindbergh et Travis Sawchik, deux journalistes spécialisés dans le baseball, racontent notamment l’histoire du développement autonome du lanceur Trevor Bauer et du programme de développement individualisé des Astros, ayant mené à leur championnat controversé.


La technologie au service du développement des joueurs

Grâce aux technologies avancées, notamment des caméras haute précision et des logiciels spécialisés en science informatique, les équipes de la MLB et des ligues mineures collectent des données précises sur la manière dont les joueurs lancent et frappent la balle. Ces outils permettent aux joueurs d’obtenir des retours ultra détaillés sur ce qu’ils doivent ajuster pour optimiser leur élan et leur lancer. Comme dans tout autre sport, les joueurs de baseball ne peuvent pas être entraînés tous de la même manière.


Les Astros ont été les premiers à exploiter cette approche d’entraînement personnalisée, ce qui leur a donné une longueur d’avance sur les autres équipes. Chaque joueur de l’organisation savait précisément sur quoi travailler et quels exercices pratiquer afin de percer dans la grande ligue. Même si cela demandait des ressources considérables, les Astros ont misé sur des plans de développement individualisés pour chacun de leurs joueurs.


L’apprentissage par essai-erreur et les biais dans le baseball

Les lanceurs de baseball occupent une position unique dans un sport d’équipe, un peu comme les gardiens de but au hockey. Dans le baseball, les ajustements individuels sont essentiels et l’apprentissage repose souvent sur l’essai-erreur. C’est un aspect que je respecte énormément chez les joueurs de baseball, soit leur capacité à se développer en apprenant de leurs erreurs. J’ai l’impression que les joueurs de hockey n’accordent pas autant d’importance à cet aspect.


Il existe aussi plusieurs croyances bien ancrées dans la communauté du baseball qui ont freiné le potentiel de certains lanceurs. Par exemple, on a longtemps cru que les balles à effet (breaking balls) causaient plus de stress sur le bras, alors que les recherches récentes indiquent que ce sont en fait les balles rapides (fastballs). Ainsi, plusieurs lanceurs qui possédaient une balle à effet redoutable l’ont sous-utilisée par crainte de blessures, ce qui les a limités au lieu de les aider à progresser. Un lanceur doit être capable d’exécuter son meilleur lancer le plus souvent possible afin d’atteindre le succès. Historiquement, de nombreux lanceurs ont négligé leur meilleur atout par souci de prévention des blessures. Je me demande combien de talents ont manqué leur chance d’atteindre les majeures à cause de cette croyance erronée.


Le futur du développement des joueurs dans les autres sports

Je ne m’attends pas à ce que d’autres sports suivent immédiatement la révolution du développement des joueurs telle qu’on la voit dans le baseball. Par contre, ils peuvent en tirer des leçons. L’analyse avancée des données commence à être utilisée dans tous les grands sports, et j’ai hâte de voir comment cela va évoluer, surtout en ce qui concerne le développement des joueurs.

Le baseball remet en question ses méthodes de formation, ce qui exige une ouverture d’esprit et une certaine audace des organisations. Comme les Astros l’ont fait, ils ont changé la culture du développement dans leur sport, forçant même des franchises plus anciennes à emboîter le pas. Le baseball utilise la sabermétrie pour analyser les mouvements des lanceurs et des frappeurs, ce qui permet aux équipes d’optimiser leur rendement.

Je suis curieux de voir comment nous pourrions appliquer ces technologies, notamment les caméras haute précision, pour analyser et améliorer les mouvements des gardiens de but, un peu comme le baseball l’a fait pour permettre aux lanceurs de relancer leur carrière.


La baisse du pourcentage d’arrêts des gardiens en NHL – un changement générationnel

Un changement intéressant s’opère dans la LNH. Ce phénomène peut être expliqué par l’arrivée de nouvelles générations de joueurs, comme l’observent plusieurs gardiens. Actuellement, le pourcentage d’arrêts moyen tourne autour de .900, le plus bas depuis la saison 1995-1996, où il était de .898. Le double champion de la Coupe Stanley, Andrei Vasilevskiy, pourrait avoir une explication pour ce déclin sous la moyenne des dernières années. Selon lui, les joueurs recherchent désormais le jeu parfait avant de décocher un tir.

« Aujourd’hui, les gars ne gaspillent pas leurs tirs », a commenté Vasilevskiy.


La possession de la rondelle est devenue un élément clé au hockey. Conserver la rondelle empêche l’équipe adverse de marquer. Ce changement de mentalité pourrait remonter à la saison 2015-2016, lorsque la LNH a introduit la prolongation à 3 contre 3. À ses débuts, les équipes marquaient très rapidement, et les prolongations étaient courtes en raison des nombreuses échappées et montées en surnombre. Près de 10 ans après l’implantation de cette règle, la dynamique a changé. On observe maintenant des joueurs qui conservent la rondelle et qui retournent en zone défensive lorsqu’ils ne sont pas satisfaits de leur entrée en territoire offensif. L’attaque est moins précipitée; on attend plutôt une faille défensive.


Le « New Age Mindset » : une nouvelle approche du tir

Cette approche privilégiant la qualité plutôt que la quantité a été baptisée New Age Mindset par Jordan Binnington, le gardien des Blues de St-Louis, qui a été sélectionné comme gardien numéro un pour le tournoi des 4 Nations 2025. Binnington est certain que les joueurs de la nouvelle génération sont à l’origine de cette tendance.

D’après Clear Sight Analytics, une entreprise spécialisée dans l’analyse des statistiques avancées en hockey, plusieurs tendances de tir ont émergé depuis la saison 2019-2020. Deux d’entre elles sont particulièrement intéressantes pour illustrer ce phénomène :


  • Les tirs non voilés provenant du haut de la zone offensive ont diminué de 27,9 %;

  • Les tirs non voilés provenant de l’extérieur de l’enclave ont diminué de 24,9 %.


Les joueurs sont conscients qu’un tir lointain sans écran ou déviation a peu de chances de battre un gardien. Ils conservent donc la rondelle en attendant une meilleure opportunité. Plusieurs facteurs expliquent cette évolution :


  1. L’essor des statistiques avancées, qui permettent aux joueurs d’identifier ce qui fonctionne réellement contre les gardiens;

  2. L’arrivée de joueurs aux habiletés exceptionnelles, qui ont popularisé des gestes comme le Michigan move, les transitions latérales rapides et un niveau global de compétence plus élevé;

  3. Les avancées technologiques dans l’équipement, notamment les bâtons de hockey, qui offrent une meilleure performance aux tireurs.


Un défi supplémentaire pour les gardiens

Ce New Age Mindset complexifie la tâche des gardiens. Un gardien qui fait face à un grand volume de tirs se sent généralement plus en contrôle et en confiance que s’il reçoit un tir aux trois minutes. « Tu restes là, à attendre que quelque chose se produise », dit Vasilevskiy. « Tu as beaucoup d’énergie et de pensées, et ce n’est pas l’idéal. »


En tant que gardien, je ne peux pas conclure cet article sans souligner l’adaptation nécessaire face à cette nouvelle réalité. Tout au long de l’histoire du hockey, les gardiens ont su ajuster leur jeu et je m’attends à ce que la nouvelle génération de gardiens fasse de même.


Je crois que la prochaine vague de jeunes gardiens s’habituera à cette diminution de tirs et à l’augmentation des occasions de qualité. Étant exposés à ce style de jeu dès un jeune âge, ils développeront naturellement les compétences requises pour y faire face. Cette capacité d’adaptation sera essentielle pour la prochaine génération. Être conscient de ce changement et anticiper cette nouvelle exigence constitue la première étape pour y faire face efficacement. Reste à voir comment les gardiens s’adapteront aux joueurs. 

 
 
 

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